Billet d’humeur par Yves Lepers

28/01/2021

"UN PEUPLE QUI OUBLIE SON PASSE SE CONDAMNE A LE REVIVRE" Winston Churchill

En 2010, la Ministre Laurette Onkelinx, alors en charge du ministère fédéral de la santé, décide de mettre en place la commission « médecines non conventionnelles » ainsi que les chambres représentant les différentes disciplines concernées. Cette décision tombe plus de dix années après que la loi sur l’exercice des médecines non conventionnelles ne soit édictée par le Ministre Colla en 1999. Rappelons que ladite loi Colla, prévoyait, dans ses arrêtés d’application, la mise en place des commissions et chambres par le/la ministre de la santé. Ces travaux vont durer trois ans. Cinq représentants des unions professionnelles d’ostéopathie, nommés officiellement (parmi lesquels Claude Rousseau, Jean Ruwet et moi-même) et cinq représentants des Facultés de médecine du pays y siègent sous la direction des plus hauts fonctionnaires du SPF santé. Après trois ans de débats animés, les décisions et articles, destinés à préciser le statut professionnel des ostéopathes, sont entérinés à la majorité des deux tiers, par une majorité qualifiée. Le texte est ensuite confié au gouvernement pour ratification. Cette dernière étape n’étant plus, en principe, qu’une formalité. Et pourtant, à la surprise générale, le document ne sera pas signé car l’accord gouvernemental qui prévoyait initialement la signature de tous les partis au pouvoir devient caduque. En effet le gouvernement vivant ses dernières heures en raison de l’organisation de nouvelles élections, ces accords tombent naturellement à l’eau. Or, en coulisse, une nouvelle alliance entre l’Open VLD (dirigé par notre actuel premier ministre Alexander De Croo) et la NVA se prépare. Parmi les accords entre les deux partis le renoncement, par l’Open VLD, à la reconnaissance de l’ostéopathie en tant que profession de première ligne, tel que prévu, in fine, par les travaux de la Commission.

Un certain nombre de choses sont à retenir de ces évènements. Il faut en effet savoir que, d’un point de vue socio-politique, les oppositions les plus dures au sein de la chambre, venaient des Facultés du nord du pays, en particulier de l’Université de Gand. La raison principale vient de l’importance accordée à la thérapie manuelle (réservée aux kinésithérapeutes) et aux intérêts qu’elle génère dans les universités flamandes. Ce n’est pas par hasard que les ostéopathes néerlandophones ne sont jamais parvenus à créer une formation intra-muros en ostéopathie malgré de nombreuses tentatives et quelques espoirs rapidement déçus. Le texte allant être signé par les différents ministres du gouvernement fédéral, le seul recours possible de la part du Doyen de la Faculté de médecine de Gand, en outre responsable du cours de thérapie manuelle… (clin d’œil appuyé), fût de faire traîner les débats (aidé en cela par quelques initiatives malheureuses de certains ostéopathes). Ensuite il lui suffisait de lever le ban et l’arrière-ban des partis de la droite flandrienne pour faire capoter l’ensemble des accords obtenus à l’occasion d’une nouvelle coalition gouvernementale. Nous avons donc, en tant qu’ostéopathes, un vrai problème dans notre pays lié au fait que la santé soit du ressort du fédéral et l’enseignement, du communautaire.

Quant au fond, vous comprendrez aisément que toute initiative politique de la part des ostéopathes ou de leurs représentants qui seraient contraires aux accords votés et signés au sein de la chambre ostéopathie, serait aujourd’hui de l’ordre du suicide collectif.

Pour rappel les accords portent sur la reconnaissance de l’ostéopathie comme profession de première ligne sous certaines conditions (il faut en effet savoir que si vous acceptez de travailler sur prescription médicale la reconnaissance peut être obtenue dès demain. Mais il faudrait alors évidemment s’interroger sur la nécessité d’un enseignement universitaire en 6 ans alors que 3 devraient largement suffire). Quant aux conditions, elles se retrouvent dans la définition de l’ostéopathie qui fit consensus, y compris chez tous les ostéopathes présents. Cette définition précise le champ d’application de la discipline, ses limites et en a supprimé toute référence à des concepts non validés par la science, tels que la « dysfonction ostéopathique » (même mon correcteur d’orthographe me souligne ces deux mots en rouge, c’est vous dire… !) Voici donc le texte de la définition tel qu’il paraît au moniteur belge :

« Considérant l’avis rendu par la Chambre d’ostéopathie le 11/09/2012 :

La Chambre d’ostéopathie rend pour avis à la Ministre qu’il y a lieu de reprendre la définition de l’ostéopathie comme suit :

L’ostéopathie est une approche manuelle diagnostique et thérapeutique des pathologies. Dans le cadre d’une prise en charge en première ligne des patients, elle s’adresse exclusivement aux dysfonctionnements de l’appareil locomoteur et du système nerveux périphérique. Les pathologies qui n’entreraient pas dans la définition susmentionnée ne peuvent être prises en charge qu’en seconde ligne. »

La chambre a également retenu l’obligation d’une formation universitaire à l’exception des professionnels formés avant l’application des décrets et sur base d’étude de dossier.

La compétence diagnostique pour les pathologies musculo-squelettiques et neurologiques périphériques faisaient également partie de l’accord et nous étions sur le point d’obtenir la prescription d’imagerie dans ce contexte.

En conclusion, je voudrais rappeler à ceux qui pensent qu’il suffit de demander pour obtenir, de ne pas oublier que s’ils pratiquent sereinement aujourd’hui, c’est grâce à l’existence de l’enseignement à l’ULB et aux travaux des chambres qui ont montré le sérieux des professionnels de l’ostéopathie. Mais l’image du charlatan est loin d’être totalement dissipée. Il suffit de consulter le net ou les intitulés de cours proposés dans certaines revues, pour le comprendre.

Alors méfions-nous des initiatives individuelles compulsives, toute action demande réflexion profonde et concertée. Continuons à nous battre pour une ostéopathie universitaire de qualité, continuons à encourager la recherche clinique et fondamentale, organisons des congrès de qualité et des formations continues dignes de ce nom. N’oublions pas la formule d’Eric Orsenna « toute agitation n’est pas action » !

L’UPMO pourrait en faire sa devise, tout en espérant la partager avec d’autres…